#1 Accompagner les enfants – C’est pour ton bien
L’opinion publique est loin d’avoir pris conscience que ce qui arrivait à l’enfant dans les premières années de sa vie se répercutait inévitablement sur l’ensemble de la société, et que la psychose, la drogue et la criminalité étaient des expressions codées des expériences de la petite enfance.
La question qui me vient à l’esprit quand on parle d’éducation et d’accompagnement des enfants est la suivante : quels enfants laisserons-nous à notre planète ?
Si je préfère utiliser le mot “accompagner” plutôt qu’”éduquer” c’est pour plusieurs raisons. Tout d’abord, j’associe le mot “éduquer” à l’autorité et à l’école. Je pense que nous éduquons nos enfants pour les faire vivre dans le monde du passé. C’est surtout vrai à l’école traditionnelle. La moitié des métiers auxquels nous préparons les enfants n’existeront plus quand ils seront adultes, néanmoins nous continuons à leur apprendre ces métiers. L’école ne devrait-elle pas poser une autre question : quel est le verbe de ta vie. ? J’en parle dans un précédent article.
L’autorité dans sa forme la plus extrême nous empêche de réfléchir par nous-même, il faudrait accepter que l’adulte a raison et ne pas poser de questions. Je pense que le parent doit changer sa manière de voir son enfant.
Après la lecture d’Alice Miller et de son livre C’est pour ton bien, j’ai bien compris que, exercée de manière abusive sur l’enfant, l’autorité n’apporte rien de bon. La fessée, la gifle, la punition… sont autant de choses qui, si elles sont appliquées durant l’enfance, favoriseront la violence. Ce qu’Alice Miller appelle « la pédagogie noire » brise la volonté de l’enfant pour en faire un être docile et obéissant. Ce livre montre comment fatalement, les adultes qui battent, ont été des enfants battus, ceux qui menacent, ont été menacés, et ceux qui humilient ont été humiliés… Dans ce texte elle analyse la vie de trois enfants, dont celle d’Adolf Hitler, mais également celle, sanglante, de Jürgen Bartsch, un tueur de petits garçons.
Ce livre parle donc de pédagogie noire utilisait dans les siècles passait. Aujourd’hui, ces exemples nous font froid dans le dos, mais sont très éloignés de l’éducation que nous avons reçue. Ce livre nous permet néanmoins de comprendre tout le chemin que nous avons passé à travers les différentes générations, la pacification des relations entre parents et enfants, mais aussi de voir le chemin qui nous reste à parcourir et de comprendre d’où viennent nos certitudes sur le bien des enfants.
Je parle d’un crime millénaire parce que la façon de traiter un enfant comme un objet et d’ignorer ses besoins peut être observée non seulement de nos jours, mais aussi plusieurs milliers d’années en arrière, par exemple en Chine, où on a cassé les os des pieds des petites filles pendant si longtemps. Nous préférons ignorer ces faits ou ne pas les croire, parce qu’ils sont abominables. Mais ils existaient quand même. La mutilation des femmes en Chine, la mutilation des femmes en Afrique qui se poursuit jusqu’aujourd’hui n’a pas aidé les femmes adultes à devenir des mères aimantes pour leurs enfants. Les grands-mères et les mères qui sont toujours pour l’excision de leur petite fille ont subi la même douleur et la même humiliation que leur propre mère et que leur grand-mère sans pouvoir se défendre. C’est vers les petites filles que se dirige leur rage refoulée et niée. Je parle d’un crime millénaire parce que je veux montrer que les résultats de ces crimes ne sont pas limités à une génération. La violence se perpétue sans limite.
C’est pour ton bien
C’est donc Alice Miller, psychanalyste pendant 20 ans, qui pour moi a été une révélation. L’enfant ne connait pas nos codes, l’enfant vit intensément ses sentiments, ses colères, ses tristesses, ses joies, ses peurs… Lire Alice Miller c’est changer complètement son regard sur l’éducation. C’est aussi se faire du mal. Après cette lecture, je ne peux plus dire : « enfant, je méritais mes punitions, mes fessées ». La violence d’un parent sur son enfant ne sera jamais légitime, même par amour. Selon elle, l’enfant ne peut pas remettre en question l’autorité du parent, même adulte, il n’en est pas capable seul.
Moi, j’étais de plus en plus convaincue que mes patients avaient subi des enfances très malheureuses, mais qu’ils ne pouvaient pas admettre cette vérité. Ils idéalisaient leurs parents et se cachaient la vérité à eux-mêmes aussi bien qu’à moi.
C’est vrai qu’en Amérique et en Allemagne comme en France et comme partout, la plupart des gens sont persuadés qu’il y a de bonnes fessées, qu’on ne peut pas éduquer sans elles. Mais aux États-Unis, en Allemagne et dans les pays scandinaves, il y a quand-même des groupes qui mettent en question cette tradition.
Les enfants battus pensent éprouver de l’amour pour leurs parents, mais en grandissant, détournent leur colère, leur haine vers quelqu’un d’autre. “La violence humaine serait liée, selon Alice Miller, à nos “traumatismes et nos carences subis et refoulés pendant notre enfance“.
Évidemment aujourd’hui, les violences sur les enfants sont moins fréquentes qu’à l’époque d’Alice Miller et la vision générale de l’éducation évolue. Je pense tout de même que si nous voulons élever des enfants pour le monde de demain, qui seront capables de faire des choix par eux-même, de critiquer ce qui ne va pas et surtout d’oser le réinventer, nous devons abolir toute forme d’autorité. Après cette lecture, je comprends que l’autorité du parent et du professeur vers l’enfant entraine souvent la servitude de l’adulte vis-à-vis de son employeur ou de son gouvernement. Et pourtant, celui-ci a besoin de profonds changements pour adapter la société au monde actuel. En clair, pour donner plus de chance à votre enfant de faire ses propres choix, il faut minimiser les actes d’autorités.
Alice Miller et d’autres, comme Maria Montessori, montrent que nous n’accompagnons pas l’enfant. Trop souvent quand l’enfant exprime une envie, nous la réprimons pour des excuses qui nous paraissent cohérentes mais que l’enfant ne comprend pas. Parce qu’il n’y a pas le temps, parce que ce n’est pas le moment, parce que ce n’est pas pour son âge. Dans ses ouvrages et ses expérimentation, Maria Montessori analyse la situation de cette façon : nous réagissons en fonction de nos besoins d’adulte au lieu de comprendre les besoins de l’enfant. Dans ses premières années, l’enfant ne fait pas de caprice, il exprime souvent un besoin et tout l’art de l’adulte est de comprendre ce besoin sans avoir à dialoguer.
Ce que je pense de la nature humaine provient de mon expérience avec mes patients et moi-même, et des recherches scientifiques sur le cerveau du bébé, qui confirment entièrement mes hypothèses. En tant qu’êtres humains, nous sommes tous nés prématurés, avec un cerveau incomplètement structuré, et nous avons besoin de bonnes expériences, de la stimulation, de la gentillesse de notre entourage, pour pouvoir structurer notre cerveau d’une façon optimale. Si, au lieu de cela, nous recevons des coups, de la violence, de la négligence, il est logique que la structuration de notre cerveau ne puisse s’accomplir comme il faut. Qu’un enfant traité de cette façon au début de sa vie aille, à six ans, assassiner un petit bébé dans le voisinage, c’est tout à fait logique pour moi.
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